Silences et déflagrations
Chronique
(Dimanche 15 Avril 2007)
Silences et déflagrations
Par :
Mustapha Hammouche
Quatre
jours après, il reste difficile de cerner l’impact du double attentat
meurtrier d’Alger. La désinvolture avec laquelle les responsables
algériens répondent au danger terroriste est significative d’un grand
malentendu : quand nous évoquons notre inquiétude, ils nous opposent
leur légitimité. “Tel attentat est le signe de désarroi des
groupes terroristes, tel autre est un geste de…”, nous dit-on en gros.
Le ministre de l’Intérieur avait déjà dévoilé que le pouvoir n’a pas su
voir les effets de l’évolution “qaïdiste” du GSPC quand il déclarait
que cela ne changeait rien que le groupe se fît appeler “GSPC, al-Qaïda
pour le Maghreb islamique ou… Kaddour Ben Ali”.
La société,
interdite d’extérioriser ses sentiments les plus spontanés, étouffe sa
réaction dans ses intimités. Quand un microphone arrive à glaner une
parole de citoyen, c’est toujours pour récolter un morceau choisi de
langue de bois : “Le peuple veut la paix” ; “Ces actes n’ont rien à
voir avec les valeurs de l’islam…” Quand, dans les années 1990, il
était, au plan de la culture politique, encore permis de condamner le
terrorisme islamiste, et même de le défier, il restait encore quelques
îlots de résistance morale et politique. Il était alors possible de
réprouver l’acte terroriste pour ce qu’il était : un crime abject. Et
éventuellement d’interpeller l’État pour avoir failli à sa
responsabilité dans la sécurité des citoyens.
Aujourd’hui, l’acte
terroriste n’est plus condamnable que comme fait qui contrarie la
politique de réconciliation nationale. Il n’est pas permis de remettre
en cause la démarche officielle même si elle a échoué dans ce qui la
légitime : la paix. Les détracteurs de la charte sacrée sont rejetés
dans le camp des poseurs de bombes, celui des ennemis de la
réconciliation nationale.
Zerhouni a bien résumé cet état d’esprit
en faisant endosser la responsabilité des attentats d’Alger au concept
générique des “ennemis de la réconciliation nationale”. Pourtant, les
attentats terroristes n’ont pas attendu l’ordonnance du 27 février
2006. Il n’y a plus d’ennemis de la liberté ; il n’y a que des ennemis
d’une politique. C’est pour cela qu’au monologue officiel et aux
déflagrations assassines ne répond que le mutisme tourmenté mais
fataliste de la société. On pourrait, en effet, s’étonner du silencieux
retrait des Algériens devant l’horreur, alors que les Espagnols, par
exemple, sortent dans la rue, par millions, au moindre meurtre de l’ETA.
C’est
qu’ici la manifestation, si elle n’est pas “de soutien”, est interdite
depuis bientôt une décennie. Les partis accèdent aux médias publics en
fonction de l’échéancier électoral ; les syndicalistes risquent la
prison pour un appel à la grève ; la société civile s’est convertie au
clientélisme politique ; les journaux s’exercent à la louange pour fuir
la répression économique et judiciaire. Ce gommage de la société, qui
vise à éradiquer toute contestation de toute nature, met le pouvoir
dans un face-à-face avec le seul intégrisme, violent ou entriste.
L’assentiment
référendaire qu’il nous a arraché dispense le pouvoir, croit-il, de
s’expliquer sur son incapacité à traduire “sécuritairement” sa démarche
réconciliatrice.
par
Mustapha Hammouche - LIBERTE