L’ambassade
américaine a lancé, hier, un nouveau warning à l’égard de ses
ressortissants présents en Algérie et a mis en garde de manière
détaillée contre d’éventuels attentats au centre-ville d’Alger.
Une approche nouvelle qui dérange et jette un froid certain sur un
partenariat qualifié de stratégique et d’exception, dans le cadre de la
lutte globale contre le terrorisme, où Alger et Washington sont des
alliés.
C’est sur la base “d’informations
non confirmées” que l’ambassade des États-Unis d’Amérique à Alger vient
de mêler son grain de sel à l’état de psychose qui règne dans la
capitale depuis les attentats kamikazes perpétrés mercredi dernier
contre le Palais du gouvernement et le commissariat de Bab-Ezzouar,
faisant, selon le bilan officiel, 35 morts et près de 220 blessés.
“Selon des informations non confirmées, des attentats pourraient être
planifiés à Alger le 14 avril dans des zones pouvant inclure, entre
autres, la Grande-Poste (centre-ville), et le siège de l’ENTV sur le
boulevard des Martyrs”, avertit l’ambassade américaine dans un
communiqué mis en ligne sur son site et repris par l’AFP. L’ambassade
américaine a précisé qu’elle resterait “ouverte comme d’habitude”
samedi, mais qu’elle allait réduire “les mouvements de son personnel en
ville”. Elle a également demandé aux ressortissants américains
voyageant en Algérie de contacter le consulat américain. Si les
conseils aux voyageurs relèvent des prérogatives et devoirs des
chancelleries à l’égard de leurs ressortissants, les Américains
viennent toutefois d’élever cette démarche à un stade encore inconnu en
Algérie. D’autant que la représentation diplomatique US affirme elle-même qu’elle se base sur des informations “non confirmées”. Au-delà
de la véracité ou non de la menace, les Américains viennent de désigner
des cibles potentielles et semer via un communiqué public la terreur
chez les Algérois traumatisés par les attentats de mercredi dernier et
qui se replongent bien malgré eux dans les années noires du terrorisme.
Un fait en soi gravissime puisque les diplomates américains
viennent de prêter le flanc à la fois à la rumeur et court-circuiter de
facto le travail des forces de l’ordre. À Alger, l’alerte donnée
par les Américains a jeté un froid. Il s’agit là d’une première dans
les pratiques diplomatiques bilatérales. L’attitude américaine et
le procédé utilisé dérangent pour différentes raisons. Ils
interviennent bruyamment à un moment très sensible et touchent à une
information à la fois sensible, stratégique et de souveraineté
nationale qu’ils n’avaient peut-être pas le droit de communiquer d’une
telle manière. Trois hypothèses peuvent être avancées pour essayer du moins de comprendre le pavé jeté dans la mare par les Américains. La
représentation diplomatique a pu, dans le cadre des échanges
bilatéraux, avoir accès à des informations sur l’existence d’une menace
éventuelle en vue de prendre les mesures de sécurité nécessaires.
Situation plausible entre deux partenaires stratégiques et qui ont en
commun un objectif certain, lutter irrémédiablement contre le
terrorisme. Et dans ce cadre, elle n’avait pas le droit de la
divulguer de manière aussi précise et détaillée. Elle pouvait agir de
manière beaucoup plus nuancée, elle en a les moyens. L’ambassade a pu
également obtenir de telles informations par ses propres moyens, et
l’usage diplomatique veut qu’elle les communique aux autorités
compétentes afin que des mesures puissent être prises ou du moins pour
en vérifier la véracité avant d’agir. Sur la base du communiqué,
notamment le volet relatif aux “informations non confirmées”, cette
hypothèse est pour beaucoup à écarter. D’autant qu’il n’y a pas eu
de mesures sécuritaires autres que celles existant déjà. Les forces de
l’ordre étant plus qu’en alerte maximum depuis les attentats kamikazes.
Pour certains, la représentation diplomatique américaine a agi en
électron libre, de manière peu délicate et qui frise
l’irresponsabilité. D’autant que les Américains s’étaient déjà
illustrés, il y a quelques jours, par une alerte sur des attentats
éventuels sur des avions et qui n’ont jamais eu lieu heureusement. Certains
n’auront pas manqué de s’interroger sur les paramètres qui ont poussé
l’ambassade à agir d’une telle manière. Ils la lient au refus
catégorique d’Alger à abriter une quelconque base militaire étrangère,
la lecture américaine sur la situation terroriste en Afrique du Nord ou
encore à la question du Sahara occidental. Pour d’autres encore, la personnalité du nouvel ambassadeur américain accrédité à Alger n’est pas éloignée d’un tel procédé. Réputé
proche des milieux islamistes, Robert S. Ford a fait ses armes en Irak
et plus exactement dans la capitale irakienne après la chute de Saddam
Hussein. Bagdad étant depuis à feu et à sang. Il faut reconnaître
que c’est la première fois que la chancellerie américaine agit de cette
façon et ce, même pendant les années noires et les plus durs moments
qu’ait connus Alger. Autant de paramètres qui, aujourd’hui,
enrayent le disque bien huilé depuis plus d’une décennie d’une
coopération en matière de lutte contre le terrorisme qualifiée de
stratégique et d’exception par les plus hautes autorités américaines. À
moins que pour les Américains, la coopération n’est stratégique que
quand Alger est disponible et apporte son expérience acquise seule sur
le terrain. Il s’agirait là d’une approche particulière et qui relève
plus du sens unique que réellement du partenariat. L’attitude
américaine n’arrange et ne profite à personne, mais ajoute de l’huile
sur le feu et de l’eau aux moulins de ceux qu’Alger et Washington sont
censés combattre ensemble, les groupes armés. Par son
interventionnisme indélicat, l’US Ambassy vient, en effet, de conforter
ses possibilités d’action en rendant les menaces, si elles sont
fondées, précises et détaillées. Sachant également que les périmètres
désignés, notamment la Grande-Poste, sont en contrebas du Palais du
gouvernement, et il serait réellement gravissime, après l’attentat de
mercredi dernier, qu’un autre puisse avoir lieu à quelques centaines de
mètres. L’Algérie n’est pas l’Irak et Alger est loin de ressembler à Bagdad. Chose que les Américains ont semblé oublier dans leur communiqué.
Samar Smati- LIBERTE
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