AUTOBUS STORY !
Par Hakim Laâlam
Email : laalamh@yahoo.fr
Algérie. Le seul pays au monde où les kamikazes sont …
…déclenchés à distance !
Je me présente, je suis un autobus. Un autobus belge de marque Vanhool.
Lorsque j’ai débarqué avec des confrères autobus sur les quais du port
d’Alger, par un après-midi un peu plus ensoleillé qu’en Flandres,
j’étais loin de me douter de ce qui m’attendait sur le sol algérien. Je
pensais «voilà un beau pays, baigné par la mer et le ciel bleu. Je vais
pouvoir me la couler doucepépère, après des mois d’essais et de mises
au point dans les ateliers du Plat pays qui est le mien». Comme je me
trompais ! A peine le plein fait, du mauvais gasoil, 1/4 mazout 3/4
eau, on m’assigna une première mission. Aller chercher des terroristes
repentis de l’AIS, attendant au pied des maquis jijeliens qu’on vienne
les réinsérer. J’en ai encore des frissons dans mes bielles au souvenir
de leur odeur pestilentielle lorsqu’ils ont embarqué à mon bord. Moi,
encore flambant neuf, bosseur comme tout Flamand qui se respecte, je me
suis dit «il n’y a pas de sot trajet, allons-y franco !» Après avoir
déversé dans la société mes clients barbus et échevelés, après un brin
de toilette dans mes nouveaux dépôts, on me désigna une seconde
mission. Avec mes nouveaux confrères algériens, on nous envoya chercher
les populations aux portes des villes et villages pour le référendum
sur la réconciliation. Et ce jour-là, placé à l’entrée des maisons, des
immeubles, des administrations, des mairies et de tout ce qui bouge,
j’ai vu une foule bigarrée m’envahir. De tout ! Des barbus. Des
imberbes. Des hommes. Des femmes. Des hommes aux yeux maquillés. Des
femmes avec du duvet sur les lèvres. Des jeunes. Des vieux. Des
hésitants. Des décidés. Des chanteurs. Des percussionnistes. Et
d’autres qui demandaient tout le temps «c’est à quelle heure qu’on nous
donne à manger et à boire ?». Revenu le lendemain soir seulement de
cette mission, je n’ai eu que quelques heures pour me reposer. Dès
l’aube, un autre boulot m’attendait. Ramener des électeurs en masse
vers les bureaux de vote. Ce coup-là, on m’avait scotché des tas de
portraits d’un mec aux yeux bleus. Et tous ceux qui étaient montés à
bord scandaient son nom avec des accents différents. Cette mission-là,
j’en garde un souvenir cuisant. Plusieurs de mes sièges, et une bonne
partie du tissu qui recouvre mon habitacle intérieur avaient été
vandalisés par des nanas et des mecs qui chantaient pourtant
«reconstruisons ensemble ce pays !» Ramené au bercail tant bien que
mal, retapé avec les moyens du bord, j’ai eu droit à un petit congé. Et
là, dernièrement, on m’a remis au turbin. Nouvelle mission : aller
chercher le plus de monde devant les maisons, les immeubles, les
administrations et les usines et les déposer à l’entrée d’une étrange
coupole. Durant tout le trajet, mes nouveaux voyageurs n’ont cessé de
dire du mal et de cracher sur les premiers clients que j’avais
embarqués à mon arrivée de Belgique. Vous avez oublié ? Mais si, voyons
! Souvenez-vous ! Les gars hirsutes et sales que j’étais allé chercher
dans les maquis de Jijel. Ça vous semble difficile à suivre ? Je vous
le concède. Moi aussi, des fois, je m’y perds ! Et ces derniers temps,
je me suis surpris à verser une larme sur mon pare-brise. Tout de même,
la Flandre me manque. Une fois ! Je fume du thé et je reste éveillé à
ce cauchemar qui continue.
H. L.